Que faudrait-il pour vous aider à prendre la décision de rester un golfeur amateur ou de devenir professionnel?
Pour un membre du Temple de la renommée, il aura fallu un accident d’avion.
Par une nuit misérable de décembre, il y a 60 ans, Marlene Streit revient à Toronto depuis son université de la Floride. Le pilote atterrit à court de la piste, l’appareil roule à toute vitesse dans un champ, une aile se détache. Terrifiées, Marlene et une amie s’échappent par le trou béant. Alors qu’elles quittent précipitamment le lieu de l’accident, l’avion s’embrase et explose. Miraculeusement, personne ne périt même si l’on recense des blessés.
« Ce qu’on raconte est vrai. Ma vie m’est revenue en un flash, me confiait Marlene récemment. La LPGA m’avait sollicitée et j’avais même disputé quelques tournois en tant qu’amateur. J’ai compris que certaines facettes du style de vie de la LPGA me déplaisaient. Je voulais une vraie vie. Je voulais marier Doug [Streit] et élever une famille. C’est ce que j’ai fait, ce qui ne m’a pas empêché de pratiquer le golf, bien au contraire. »
À vrai dire, les adversaires de Marlene auraient sans doute aimé qu’elles jouent moins souvent. Marlene Stewart Streit jouait pour gagner et elle atteignait très souvent son but.
« À son palmarès figurent entre autres 11 titres amateurs ouverts et neuf titres amateurs fermés du Canada, trois titres canadiens seniors et trois titres seniors de la USGA », peut-on lire dans les notes biographiques du Temple de la renommée du golf canadien. Elle a aussi été nommée athlète par excellence du Canada à deux reprises et elle est le seul Canadien, homme ou femme, qui ait accédé au World Golf Hall of Fame. (Le printemps prochain, un ouvrage relatant les exploits de Marlene, écrit en collaboration avec Lorne Rubenstein, sera publié.)
Le site Web du Temple de la renommée du golf canadien et ceux des associations provinciales font état de plusieurs carrières amateurs brillantes. Les hauts faits de ces hommes et de ces femmes sont exceptionnels, mais font-ils partie d’une race en voie d’extinction? Le glamour et l’argent qui auréolent les circuits professionnels ne risquent-ils pas d’attirer nos golfeurs les plus prometteurs au détriment de u l’amateurisme? Le gazon de ce côté-là des cordes est-il vraiment plus vert?
« Tout le monde dit : “Regardez Mike Weir. Il a réussi sur le PGA TOUR”, mais on oublie qu’il a trimé plus dur que tous les autres, qu’il a reconstruit son élan et que, malgré tout, il n’a obtenu sa qualification qu’à sa sixième tentative », souligne Warren Sye, vainqueur de plus de 120 tournois à l’échelle internationale, dont deux titres amateurs canadiens et cinq titres amateurs ontariens. Membre de l’Ontario Golf Hall of Fame, Sye reconnaît qu’il a brièvement été tenté de passer dans les rangs professionnels après avoir obtenu son diplôme de l’Université de Houston où ses coéquipiers s’appelaient Fred Couples et Blaine McCallister, deux futures étoiles du PGA TOUR.
« Le hic, c’est que je voulais vivre une vraie vie, avec une famille et une carrière. Quand j’ai gagné le titre amateur de l’Ontario en 1988, Gary Cowan m’a pris à part et m’a dit : “Maintenant, tu vas vraiment commencer à aimer ça”. Il faisait allusion au fait d’évoluer dans des équipes internationales et de représenter le Canada aux quatre coins du monde. Et il avait raison. Faire partie de ces équipes, c’était formidable. À l’époque, c’était notre objectif à tous. » Finalement, Sye représentera l’Ontario et le Canada à 11 reprises sur la scène internationale, étant notamment membre de l’équipe qui a remporté le titre mondial amateur en 1986.
Cowan qui, à 74 ans, joue encore son âge ou mieux, affirme que son conseil à Sye était un cri du cœur. Son palmarès du Temple de la renommée est si fabuleux qu’il a été nommé athlète amateur masculin du Canada du XXe siècle. Seul Canadien à avoir gagné deux titres amateurs des États-Unis, il avait sonné la charge en remportant le titre junior canadien en 1956. En 1961, il était sacré champion amateur du Canada, a été le meilleur amateur de l’Omnium canadien et du Tournoi des Maîtres qu’il a disputé à huit reprises, et a été le champion du volet individuel du mondial amateur par équipes de 1962. Sur la scène internationale, il avait la réputation d’un compétiteur féroce, lui qui a représenté le Canada 19 fois, du Brésil au Japon.
Avec un CV aussi éloquent, n’a-t-il pas été tenté de devenir pro? « C’était une époque différente. La tentation de devenir pro était là, mais il n’y avait pas vraiment beaucoup d’argent en bout de ligne jusqu’à l’arrivée d’Arnie [Arnold Palmer] et de la télévision. J’étais résolu à faire une carrière et à élever une famille. Je ne voulais pas vivre dans mes valises. Je ne regrette rien. J’ai parcouru le monde au sein d’équipes internationales, j’ai élevé quatre enfants merveilleux, j’ai fait une bonne carrière dans les affaires et j’ai beaucoup joué au golf. »
(NOTA : Sye et Cowan ont tous deux tenté leur chance sur le circuit sénior du PGA TOUR, le Circuit des Champions, mais sans succès. Ils ont ensuite repris leur statut d’amateur.)
En écho au commentaire de Sye à propos de Mike Weir, Stu Hamilton affirme : « Pour un pro qui réussit, il y en a peut-être mille qui échouent et dont on n’entend plus jamais parler. Ils donnent des leçons quelque part dans un club ou vendent des balles de golf ou délaissent tout simplement le golf pour cause d’épuisement. » Pour Hamilton, ce n’était pas une vie, et il se trouve qu’il a pris la bonne décision.
En 1963, il enlevait le titre junior de l’Ontario, mais il lui faudra attendre 1986 pour gagner un autre titre d’importance et être couronné champion amateur de l’Ontario à l’âge de 41 ans. Oui, il est venu à un cheveu de la victoire à plusieurs reprises, comme en témoignent ses six deuxièmes places au championnat amateur canadien, mais ce n’était pas assez pour le convaincre de faire le grand saut.
« Au début de ma carrière, certains m’ont conseillé de devenir pro, mais je me suis dit que je ne serais pas capable de rivaliser avec les pros si je ne gagnais pas la même année le titre amateur de l’Ontario, l’Ontario Open et le championnat amateur canadien. J’étais fasciné à chaque fois que j’ai disputé l’Omnium canadien en tant qu’amateur. C’est un pas de géant à franchir. À l’époque, le PGA TOUR n’apportait pas beaucoup de sécurité et d’argent, et je n’avais pas le goût de m’éloigner de ma famille pour vivre dans mes valises. Je voulais que le golf représente une partie importante de ma vie, mais pas sa totalité. Je voulais atteindre un équilibre. »
Tous les amateurs membres du Temple de la renommée à qui j’ai parlé ont fait allusion aux « valises », à l’ «équilibre », à la « sécurité ».
« J’adorais la vie d’amateur et je l’ai été pendant six décennies, note Gayle (Hitchens) Borthwick. Il y a une longévité dans le golf amateur que l’on ne retrouve pas dans les rangs professionnels. » Son intronisation tout à fait méritée au Temple de la renommée du golf canadien, elle la doit à un impressionnant palmarès : trois titres amateurs séniors des États-Unis, championne amateur, mid-amateur et sénior du Canada, sans compter une longue liste d’équipes internationales. Son équilibre entre la vie personnelle et le golf s’est trouvé facilité du fait qu’elle était enseignante, ce qui lui permettait de participer à des compétitions durant l’été.
« La différence est énorme entre le golf amateur et le golf professionnel », note Borthwick qui est la fille et l’épouse de pros de club. « Il ne faut pas gaspiller des années si les choses ne fonctionnent pas. C’est un travail et la pression est très forte. C’est éreintant, physiquement et psychologiquement. Il faut se donner à fond en oubliant tout le reste. Plus l’enjeu monétaire est grand, plus la compétition est farouche. »
Doug Roxburgh, lui aussi membre du Temple de la renommée, en convient. Âgé de 62 ans, il revient du championnat amateur des États-Unis après avoir gagné le titre amateur sénior canadien. Quadruple champion amateur du Canada, Roxburgh a abandonné sa carrière de comptable en 1999 pour se joindre à Golf Canada comme consultant sur le développement de l’élite avant de prendre sa retraite en 2011. Au fil des ans, deux grandes questions lui ont été fréquemment posées : Pourquoi n’êtes-vous pas devenu pro? Devrais-je rester amateur comme vous ou devenir pro?
« Je n’ai jamais sérieusement envisagé de devenir pro du début jusqu’au milieu de la décennie 1970, et je ne le regrette nullement. J’ai eu la chance de voyager pratiquement chaque année avec des équipes internationales [y compris sept équipes du mondial amateur], je me suis fait des amis, j’ai parcouru le monde. La vie d’un professionnel n’est pas aussi éclatante qu’elle n’en a l’air à moins d’appartenir à l’élite. Aujourd’hui, la donne a changé. Il y a plein de circuits et beaucoup plus d’argent à l’enjeu. Je tenterais peut-être ma chance.
« Je ne décourage pas les jeunes qui veulent tenter le coup, mais il faut être réaliste : ils doivent atteindre certains plateaux. Il faut réussir à tous les niveaux et se mesurer à l’élite dans des tournois majeurs importants, pas seulement à la maison mais ailleurs. »
Graham Cooke se fait poser les mêmes questions, à tel point qu’il a établi des « repères » pour déterminer si un golfeur a l’étoffe nécessaire pour réussir sur un circuit professionnel.
« Premièrement, il faut avoir un facteur de handicap de 4 ou moins. Deuxièmement, il faut être capable de jouer des parties sans bogey, d’enchaîner des scores bas et d’être en mesure de se consacrer au golf de neuf à cinq. Sinon, inscrivez-vous à l’université et peaufinez votre jeu contre des concurrents de premier plan. Ensuite, si vous pensez que votre jeu est à point, peut-être le temps est-il venu de passer chez les pros. »
Bien qu’il ait obtenu la mention honorable d’All-American à Michigan State, Cooke estime que son jeu s’est vraiment affiné plus tard dans sa vie, lui qui compte à son palmarès sept titres mid-amateurs canadiens et quatre titres amateurs séniors canadiens. L’un des architectes de golf les plus réputés du pays, il pense avoir pris la bonne décision. En plus d’impressionner ses clients, son savoir-faire sur le parcours lui permet de saisir la stratégie et les subtilités inhérentes à la conception d’un terrain de golf.
Marlene Streit, pour qui la victoire était primordiale (bien qu’elle affirme : « Ma plus grande joie aura été de représenter le Canada »), est, comme on aurait pu s’en douter, plus directe.
« Maintenant, tous les bons jeunes joueurs veulent devenir pros. Je leur dis : “Faites des études, ça, on ne pourra vous l’enlever”. Je leur dis aussi : “Ne pensez pas qu’à vous amuser. Vivez dans la réalité!”. Aujourd’hui, plusieurs se contentent d’éviter le couperet, et te voilà le samedi en 60e place. Quel est ton but? Finir 40e? C’est inacceptable. Il faut toujours viser la victoire. Laissez parler vos bâtons. Si vous avez le talent, le reste suivra. »
« Le reste » en question inclurait-il, à force de succès, une place au sein du Temple de la renommée? Peut-être. Mais les CV remplis de classements médiocres sur des circuits satellites n’ont rien pour impressionner les votants. Ces personnes partageront plutôt des motels deux étoiles avec des quasi étrangers quand elles évoluent sur le circuit et, sinon, vivront avec leurs parents à l’âge de 35 ans. Mais cela ne constitue pas un emprisonnement à perpétuité. Il est toujours possible de réintégrer les rangs amateurs. Et parfois les bonnes choses en valent l’attente.
Comme Cooke, Hamilton a redécouvert son meilleur golf à son âge moyen, remportant, entre autres, cinq titres mid-amateurs canadiens. Il aura bien fait de mettre l’accent sur les études (il a été longtemps banquier) et sur l’équilibre entre la vie personnelle et le golf.
« Faire carrière chez les amateurs devrait toujours être une option, mais par les temps qui courent, on dirait que tout bon jeune joueur rêve de devenir pro. Cela dit, les études restent importantes. Ensuite, si vous voulez poursuivre votre rêve et que vous échouez, vous aurez un recours. »
« Voici le fin mot, conclut Sye. Vivez votre rêve si vous en avez le goût, mais si vous ne pouvez battre les amateurs du Canada, comment allez-vous battre les pros d’un circuit? »