Golf amateur

Golfer dans le noir

Golf Canada Magazine

Gerry Nelson est aveugle. « Complètement noir. Pas de lumière, pas d’ombres. » Pendant un certain temps, ses oreilles ne semblaient pas fonctionner, non plus.

Quand il était dans la vingtaine, Nelson travaillait dur le jour et s’éclatait fort le soir. Il a fait du bacon un moment sur la chaîne de production de l’usine de traitement des viandes Gainers, dans sa ville natale de North Battleford, en Saskatchewan, puis il a transporté des matériaux de construction chez un détaillant.

Ses compagnons de beuverie lui disaient de réduire sa consommation, sachant que son diabète et les litres d’alcool qu’il buvait formaient un cocktail dangereux, surtout chez un gars qui, à part la dose d’insuline qu’il s’injectait chaque matin, ne prenait pas sa maladie très au sérieux. Il avait appris à boire auprès de son père alcoolique, mais savait bien peu de choses sur la façon de gérer son diabète, sa mère étant morte de leucémie quand il avait 11 ans.

À 25 ans, durant l’été 1988, sa vue avait tellement baissé qu’il ne pouvait plus jouer au baseball. Opéré pour se faire recoller les deux rétines en novembre, il a subi une hémorragie dans les deux yeux quelques jours plus tard et son monde est devenu complètement noir.

« En négligeant mon diabète, j’ai perdu la vue, dit-il. On m’avait dit que ça arriverait, mais je n’ai pas écouté. »

Qu’a-t-il fait? « J’ai recommencé à faire la fête. »

Hélas, l’histoire de Nelson est jusque là semblable à celle de bien d’autres personnes ayant connu une enfance difficile. C’est le genre d’histoire qu’on entend dans les veillées funèbres et les bars.

Mais la suite est aussi un des récits les plus inspirants de la section Histoires en vedette du site golfcanadagolf.ca lancé en avril dernier.

Dans la vidéo, l’homme de 51 ans aux cheveux gris courts tient un fer 7 à la main et raconte comment il a réagi quand il a perdu la vue : « J’étais complètement perdu. Je ne savais pas quoi faire, vers quoi me tourner. Je pensais que ma vie était finie. Le golf a été le catalyseur qui m’a permis de me remettre en marche. »

Gerry Nelson se présente comme étant le champion du golf pour aveugles de l’Ouest du Canada, mais il ne dit pas qu’il a remporté dix fois ce titre ni qu’il a fini troisième au Championnat mondial de golf pour aveugles en 2012. Son amour du golf l’a poussé à mettre sur pied, avec l’aide d’autres passionnés comme le multiple vainqueur Brian MacLeod, l’association de golf pour aveugles du Canada dont il est président.

Bien qu’il soit fier de ses victoires et de son organisation, il affirme que sa plus grande joie lui vient de la participation de son fils de 11 ans, Wyatt, à ses côtés sur les parcours de golf.

La relation exceptionnelle qu’il a développée avec son fils au golf et la sensation fabuleuse de réussir un coup ne sont que deux des raisons qui ont motivé Nelson à participer à la collection d’histoires de Golf Canada Golf, des récits ayant pour but d’inspirer les gens à adopter le golf pour la vie.

Il est aussi très fier de souligner qu’il travaille depuis 21 ans avec l’Institut national canadien pour les aveugles (INCA), où il aide les gens à trouver des services et de l’assistance.

Il remercie l’INCA de l’avoir aidé à s’en sortir quand il n’était qu’un « gars avec une canne blanche qui faisait la fête toute la nuit et dormait toute la journée. » Deux intervenants de l’INCA sont venus l’inviter à participer à un programme éducatif de trois semaines sur l’autonomie. Il y est allé, mais a lâché après quelques heures.

Six mois plus tard, il y retournait : « J’étais prêt, se souvient Nelson. Ces trois semaines ont changé ma vie et m’ont donné un but. »

Décidé à travailler pour l’INCA, il a déménagé à Saskatoon en 1990 et s’est inscrit à l’Université de la Saskatchewan, apprenant à utiliser divers outils d’aide à l’accès. Ce qui l’a éloigné de ses copains de bar et lui a donné une raison de vivre. « J’étais enfin quelqu’un », dit-il. Il a obtenu son diplôme de l’Université Athabasca en 1998 grâce à un programme d’éducation à distance, puis est entré à l’INCA.

À Saskatoon, on encourageait Nelson à se remettre au golf, sport qu’enfant, il pratiquait en frappant des balles dans un parc. Il avait aussi joué au hockey et au baseball, mais se trouvait médiocre, qualificatif avec lequel il en était venu à se définir lui-même.

Richard (Dick) Achen, un retraité membre du Club Lions de Saskatoon et golfeur, cherchait alors un joueur aveugle à seconder. Il a contacté Nelson et ce fut le début d’une aventure et d’une amitié extraordinaires. Achen a commencé à guider Nelson sur le terrain d’exercice et les parcours, comme un véritable père.

Le rôle du guide est simple. « On n’a qu’à placer la tête du bâton derrière la balle en visant la cible, et on s’ôte de là au plus vite! » Sur le vert, le guide étudie la pente, place le bâton et dit au golfeur si le roulé doit monter ou descendre, et sur quelle distance. C’est à peu près tout.

À l’université, Nelson avait cinq mois de vacances l’été et il allait jouer presque tous les jours au Greenbryre Golf and Country Club, grâce à l’appui du pro Peter Semko, intronisé depuis au Temple de la renommée du sport de Saskatoon.

« J’étais ce qu’on appelle un “naturel”, dit Nelson d’une voix enjouée. Avec l’aide de Dick, je me suis constamment amélioré. J’ai pris le goût des tournois et je faisais le coq, très fier. J’ai gagné en confiance au jeu et dans ma vie. Je me suis dit que je pouvais en faire encore plus. »

« Enfant, je n’avais aucune confiance, poursuit le golfeur. À l’université, je me suis mis à croire en moi. J’avais une nouvelle identité, je pouvais faire des choses, comme jouer au golf. C’est le golf qui a tout déclenché. Ce que j’apprenais au jeu, je pouvais le mettre en pratique dans ma vie. J’ai appris à laisser tomber les choses négatives. En chemin, je suis devenu une personne positive, réfléchie, et un meilleur père. »

Le gens ont vu ce qu’avait réussi Nelson et voulaient le partager, ce qui l’a amené à donner des conférences de motivation. Même si sa télé est toujours branchée au Golf Channel, il n’écoute pas les conseils techniques.

« C’est une question de “feeling”, conclut-il. Comme un golfeur voyant, je trouve mon rythme, ma zone de confort. On le ressent, ça ne s’explique pas. Je sais bien visualiser, imaginer. Quand je suis sur le parcours et que le soleil brille, je n’ai pas besoin de voir pour sentir que c’est une belle journée et que je suis le plus chanceux du monde d’être en vie pour le savourer. »

Partagez votre propre histoire de golf sur le site golfcanadagolf.ca/fr.


Golfer dans le noir

Cet article a été publié dans le numéro de juin 2015 du magazine Golf Canada. Pour lire l’article dans le format original, cliquez sur l’image à la gauche.