Bryson DeChambeau, savant fou et artiste génial

Bryson DeChambeau (Fédération française de golf)

De toute l’équipe américaine présente cette semaine au Golf National, Bryson DeChambeau est l’un des joueurs les plus atypiques – et sans doute l’un des plus redoutables aussi.

C’est début septembre, lorsque Jim Furyk a annoncé les noms des trois « captain’s picks » finalisant son équipe, que le rêve est devenu réalité pour Bryson Aldrich DeChambeau. Nommé, en compagnie des inévitables Tiger Woods et Phil Mickelson, dans la Team USA chargée de conserver le trophée, « B.A.D. » s’apprête à vivre sa première Ryder Cup en tant que joueur, deux ans après avoir assisté à celle d’Hazeltine comme simple fan depuis les tribunes. « C’était assez énorme, mais celle-ci va être différente. Déjà, parce qu’il y aura plus de monde. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre vendredi, mais je risque d’être un peu nerveux », admettait-il mardi après-midi en conférence de presse. Regard illuminé et voix enflammée, le plus jeune joueur américain (25 ans depuis la semaine dernière) savoure chaque minute de cette nouvelle expérience : « C’est fabuleux, il n’y a pas d’autre mot pour décrire ce que je ressens… »

« B.A.D. » is good

Aux côtés des plus grandes stars du golf américain – neuf de ses coéquipiers ont remporté des Majeurs, et neuf ont déjà participé à la Ryder Cup – Bryson DeChambeau fait figure de relatif inconnu. Pro depuis le lendemain du Masters 2016, dont il avait terminé 21e et meilleur amateur, le Californien marche pourtant sur les traces de ses glorieux compatriotes. Il semble même être l’un des plus rapides à parcourir le chemin vers le sommet : auteur en 2015 d’un rarissime doublé au NCAA Championship (la finale du circuit universitaire) et à l’U.S. Amateur, il est devenu cette saison l’un des quatre joueurs à avoir décroché en plus de cela trois titres sur le PGA Tour avant l’âge de 25 ans. Les trois autres ? Jack Nicklaus, Phil Mickelson et Tiger Woods.

Ben Hogan en pointillé

Mais plus que pour son remarquable début de carrière, Bryson DeChambeau est davantage connu pour sa façon de faire atypique. Surnommé « the Mad Scientist » à ses débuts par la presse américaine, il tient en réalité autant du savant fou que de l’artiste génial. Intellectuellement brillant, le jeune homme est passionné de physique théorique, sa majeure pendant ses études à la Southern Methodist University. Il maîtrise l’art du pointillé, un procédé de gravure qu’il a utilisé pour reproduire la fameuse photo de son idole Ben Hogan tapant son fer 1 à Merion lors de l’U.S. Open de 1950. Il est aussi capable de signer un autographe de la main gauche, en cursive et à l’envers… « Je suis un artiste, en ce sens que j’aime créer des choses. Et c’est pour ça que je suis devenu si scientifique », déclarait-il en avril 2016 dans les colonnes de USA Today.

« The Golf Machine »

La science, pour Bryson DeChambeau, est le moyen d’aller jusqu’au bout de sa quête, celle du swing le plus consistant possible, du mouvement qui déviera le moins d’un plan unique. À l’adolescence, il connaît une révélation en lisant The Golf Machine, un ouvrage controversé d’un certain Homer Kelley paru pour la première fois en 1969, qui décortique scientifiquement le swing de golf en 24 composantes, chacune ayant plusieurs variations. Pour en appliquer les préceptes à lui-même, il agit non seulement sur son propre geste – bras tendus et absence totale de rotation des poignets – mais aussi sur son matériel : chercher à reproduire un mouvement à l’identique n’a pas de sens si les clubs diffèrent ! À 17 ans, DeChambeau crée ainsi son premier set de fers, de même longueur (37,5 pouces) et de même poids du wedge au fer 2.

Sous l’œil de l’USGA

Une expérimentation qui a fait ses preuves au plus haut niveau, comme en attestent ses quatre victoires sur le PGA Tour en deux saisons. Mais la passion du joueur pour l’innovation ne se limite pas à ces fers à taille unique. Fin 2016, il putte le corps face au trou, armé d’un club ressemblant à un maillet de croquet. Instrument rapidement jugé illégal par l’USGA, l’autorité qui régit le jeu aux États-Unis. « Ils disent qu’avec ce club, je supprime la notion d’habileté. Alors que tout ce qui m’intéresse, c’est de trouver des moyens de baisser mes scores en rendant le jeu plus amusant », lâche-t-il alors, dépité. En juin dernier, il utilise un compas sur son carnet de parcours pour mesurer avec précision la distance au trou. Le mois suivant, l’USGA déclare l’outil hors-la-loi… Vilain petit canard pour les uns, génie incompris pour les autres, DeChambeau a donné la meilleure réponse possible à ses détracteurs : celle du terrain. Sa présence au Golf National cette semaine ne souffre d’aucune contestation, et son style unique sera un atout de poids pour l’équipe américaine.