D’un côté, Smiths Falls, une petite ville ontarienne de 9 000 habitants où la vie se déroule tout doucement; de l’autre, Rio de Janeiro, une métropole de 6,5 millions où se côtoient splendeur et misère. Deux univers.
Rio… Des plages célèbres comme Leblon, Ipanema et Copacabana où l’on sirote une caїpirinha ou une eau de coco… Le rythme envoûtant de la bossa nova et celui, trépidant, de la samba…
À flanc de colline s’étendent ces bidonvilles que l’on appelle favelas, pauvres maisons de poupée. Et surplombant le tout, au somment du Corcovado, la légendaire statue du Christ Rédempteur, souvent perdue dans les nuages, qui, bras tendus, semble veiller bienveillamment sur cette ville disparate.
« Rio, ce sera génial, être une olympienne aussi », affirme Brooke Henderson, 18 ans, qui, malgré les exploits et la gloire, est restée l’adolescente typique de Smiths Falls.
« C’est mon rêve depuis que je suis toute petite. Je ne savais pas quel sport je pratiquerais ni comment j’allais faire, mais les athlètes me fascinaient. J’aimais la volonté, la détermination, la concentration que je voyais dans leurs yeux.
« Je voulais être une olympienne. Quand j’ai suivi à la télé les Jeux olympiques de Vancouver en 2010 et que j’ai vu tout le pays se rallier, j’ai compris la puissance extraordinaire des Jeux olympiques. Ce sera fantastique d’en faire partie. »
La controverse et les forfaits, particulièrement dans le sport du golf qui fera un retour dans le giron olympique, ont marqué les préparatifs de ces Jeux, mais le quatuor canadien de golf a malgré tout résolu de prendre la route du Brésil.
Quand Alena Sharp, Graham DeLaet et David Hearn ont été officiellement présentés au Glen Abbey Golf Club d’Oakville (Ontario), Henderson, 2e golfeuse mondiale, se trouvait à Calgary (Alberta) pour y apprivoiser le parcours de Priddis Greens, théâtre le mois prochain de l’Omnium féminin Canadien Pacifique.
En effet, après son expérience olympique, Henderson filera droit sur Calgary où elle n’aura pas le temps de percer les secrets du Priddis Greens. Le jour de la célébration de l’équipe olympique de golf, elle se trouvait au Centre Golf Canada dans cette ville de l’Alberta pour y donner un cours pratique de golf à des jeunes. Pour marquer sa sélection pour Rio, des Brooke en herbe lui ont fait une garde d’honneur où les bâtons de golf remplaçaient les épées. Un relais temporaire de télévision lui a permis de participer à distance aux festivités.
« Il se passe beaucoup de choses à Rio en ce moment », a-t-elle noté après son cours pratique. « Il y a des problèmes politiques sans parler du virus Zika et des inquiétudes pour la santé. Nous tentons simplement de prendre la meilleure décision en tenant compte de la situation générale. « Ceux qui décident de ne pas participer aux Jeux ont leurs raisons. Il faut respecter leur opinion, car la santé et la sécurité sont plus importantes qu’une partie de golf. Nous se serons là que pour une semaine environ. Nous espérons revenir de ce bref séjour avec une médaille d’or. »
Quand elle se produira sur le parcours flambant neuf du Campo Olimpico de Golfe du 17 au 20 août, la nouvelle étoile sportive du Canada comptera parmi les favorites.
Ce statut relevé, elle l’a conforté à la mi-juin en remportant en prolongation devant Lydia Ko, 1re mondiale, l’Omnium féminin des États-Unis KMPG au Sahalee Country Club, près de Seattle (Washington), devenant du coup la plus jeune titulaire d’un championnat majeur.
À Rio, Brittany, sa sœur aînée, elle-même une golfeuse émérite, transportera le sac de Brooke. Brittany reconnaît qu’au début les nouvelles en provenance du Brésil n’avaient rien de rassurant.
« Il est difficile de cerner la situation, dit-elle. On ne sait trop à quelles sources se fier pour avoir des informations dignes de foi. Cela dit, nous sommes plutôt confiantes et nous savons que le Comité olympique fait de son mieux.
« Comme c’est l’hiver là-bas, ce sera un peu plus sécuritaire. Nous allons probablement porter des pantalons et des manches longues pour mieux nous protéger. Le golf est plus à risque que d’autres sports parce que nous serons en plein air huit heures par jour. Nous espérons qu’il y aura du vent. Normalement, nous souhaitons le contraire, mais dans ce cas… »
La routine fait partie de la vie sur un circuit professionnel de golf, mais les Jeux olympiques mettront fin au traintrain. Des obstacles se dresseront, certains prévisibles, d’autres pas. Par exemple, la circulation à Rio sera démentielle, si bien qu’il pourrait être hasardeux de se rendre au parcours.
« Nous irons à un camp d’entraînement de Golf Canada à Houston (Texas) quelques jours avant de partir pour Rio. Cela sera crucial, car on pourra faire le point. »
La jeune étoile se réjouit d’avoir à ses côtés un membre de sa famille à l’occasion d’une compétition à nulle autre pareille. À ses yeux, c’est même une nécessité.
« Pour nous deux, c’est énorme de partager notre rêve olympique, mais nous avons aussi un autre rêve, celui d’évoluer un jour ensemble sur le Circuit de la LPGA », indique Brooke.
« Nous formons une équipe. Je n’aurais pas enchaîné neuf top 10 cette saison et je n’aurais pas signé deux victoires sans elle à mes côtés. Elle fait des pieds et des mains pour m’aider. »
Il y a 112 ans, le Canadien George S. Lyon gagnait la médaille olympique de golf, la dernière. Par un heureux hasard, il était né et résidait à Richmond (Ontario), à 522 kilomètres – cinq heures de voiture – de la ville natale de Brooke Henderson.
Le mois prochain, à un monde de la vie tranquille de Smiths Falls, dans la splendeur et la misère de Rio et sous l’œil attentif du Christ du Corcovado, Brooke Henderson tentera à son tour d’écrire une page d’histoire.
« Alena et moi sommes maintenant de très bonnes amies. Je suis très heureuse de sa sélection pour l’équipe féminine. Je pense que nous formons une équipe du tonnerre. Son jeu s’est beaucoup amélioré et je pense que nos chances sont bonnes de monter sur le podium avec une médaille d’argent et une d’or, qui sait? L’équipe masculine est également solide. Il y a dans tout ça quelque chose de surréel. C’est comme un sixième tournoi majeur sur le Circuit de la LPGA et comme j’ai déjà un titre à mon palmarès… »
Et puis, pour tout dire, elle a toujours eu un faible pour l’Ô Canada.
« J’étais émue quand on jouait l’hymne national à l’école, dit-elle en souriant. C’était ce que je voulais entendre lors des Championnats mondiaux amateurs [au Japon il y a deux ans]. Ça ne s’est pas produit, mais une autre chance m’est maintenant donnée.
« Bien sûr, il faut vivre dans le moment présent sans présumer de rien, mais rien n’empêche de faire de la visualisation et de se voir sur la plus haute marche du podium. Il faut entendre l’hymne dans sa tête. »
Elle fait une pause, peut-être pour fredonner quelques mesures. Puis elle sourit, le sourire d’un prodige de 18 ans qui n’a qu’un objectif.
« Et puis, notre hymne national est formidable. »